mardi 29 novembre 2011

1982 - Spirou et Fantasio - Virus

Au cours d'un reportage sur les quais, Fantasio tombe nez a nez avec John Hélena (voir le Repaire de la Murène). Celui ci fiévreux, explique au reporter qu'il est tombé malade suite a une expérience épidémiologique qui a mal tourné dans la station Isola Red au Pole Sud.
Transporté chez Champignac, le vieux savant met au point un remède qui ne peut être efficace qu'a condition d'être mélangé à un ingrédient que l'on ne trouve que sur place. Spirou et Fantasio se rendront sur place pour sauver Helena et le reste de l'expédition.

"Virus" est le premier album de Spirou signé Tome et Janry. Au début des années 80, la maison Dupuis cherchait à donner un second souffle aux personnages. Après un passage éclair sans grand succès entre les mains de Nic Broca et du prolifique Raoul Cauvin, force fut de constater que la série méritait un sérieux coup de jeune.

En 1981, le destin de la license connu une courte période de flottement.
Tome et Janry tenteront leur chance en envoyant au journal "La voix sans Maître", une histoire courte qui fut très remarquée. Au même moment, le Spirou de Jijé renaissait sous la plume rétro d'Yves Chaland.
Après la parution de plusieurs historiettes, Tome et Janry signeront un contrat pour la reprise officielle du personnage.
Virus sera donc leur premier long récit publié entre les numéros 2305 et 2321 du journal de Spirou en 1982. Au fil des albums, les deux auteurs seront vraiment à la source de la resurrection du personnage qu'il animeront jusqu'en 1998.

Tome assure le scénario et les premiers crayonnés tandis que son compère se charge du dessin définitif. 
A première lecture, "Virus" vibre comme un hommage à la patte graphique de Franquin. Les personnages reviennent à leurs fondamentaux. Fantasio se remet au reportage et le comte de Champignac fait son grand retour. Modernité oblige, le scénario et la mise en scène s'inscrivent dans une tendance plus cinématographique qui se confirma au cours des années suivantes. Une fois l'album ouvert les premières planches et le "cul de lampe" sur la page de garde mettent tout de suite le lecteur dans l'ambiance.
Cette histoire est menée tambour battant comme une course poursuite dans les décors de l'Antarctique. Peut-on y voir l'inspiration de Carpenter dont le film "La chose" sorti la même année, donnait la part belle au Pôle Sud ? La mise en scène est efficace même si l'on sent parfois quelques hésitations bien naturelles dans le cadre d'une telle reprise.
On regrettera parfois la trop petite taille de certaines cases. L'histoire et les décors que l'on nous proposent auraient peut être mérité de plus amples cadres.
Le Marsupilami, dont Franquin s'était gardé les droits, fait une courte apparition le temps d'une case sous forme... d'une peluche.

Globalement, on prendra beaucoup de plaisir à redécouvrir "Virus". Tome et Janry réussissent la belle prouesse de respecter l'héritage de leurs ainés en encrant le personnage dans une grande modernité de style.


dimanche 27 novembre 2011

2002 - La légende de L'ouest

Grande vedette du western spectacle, Buffalo Bill engage quatre comédiens pour jouer le rôle des Dalton au cours de ses tournées. L'interprétation des quatre bandits est assez pathétiques. Ceux ci sont présentés comme des espèces de robins de bois à guitare défendant la veuve et l'orphelin. 
Découvrant cela, les vrais Daltons s'échappent de prison. Profitant de l'engouement que suscite leur nom, ils montent leur propre numéro sous l'oeil guogenard de Lucky Luke. Les Daltons resisteront-ils au harcèlement des fans et à la pression médiatique ?

"La légende de l'Ouest" est le dernier Lucky Luke achevé par Morris. L'auteur, décédé en juillet 2001, nous offre un album qui laisse une étrange sensation de testament. 
Le titre et le dessin de couverture sonnent comme une synthèse ou un bilan de l'oeuvre.
Le dessinateur avait il accepté ce scénario en pensant que cet album serait son dernier ? Rien n'est moins sur... 
Morris était un dessinateur très rapide et un travailleur infatigable. Les Lucky Luke paraissaient tous les ans à un rythme de métronome. Il prétendait d'ailleurs souhaiter être enterré avec du papier et des crayons au cas ou l'envie de dessiner le reprendrait.

L'âge aidant, Morris obsédé par la lisibilité et l'efficacité avait beaucoup simplifié son trait et pas mal usé de la photocopieuse. Les reproches que lui avaient valu l'évolution de son style avaient tendance à le mettre hors de lui. 
Graphiquement, "La légende de l'Ouest" renoue avec le meilleur de Lucky Luke. Le retour au pinceau redonne aux personnages la fluidité et une forme d'épaisseur qu'ils avaient perdu. Morris nous fait donc un joli cadeau en nous prouvant qu'a 78 ans, il n'avait pas perdu la main.

Le scénario est signé Patrick Nordmann, animateur de radio Suisse, auquel nous devions déjà l'album "le Prophète" paru deux ans plus tôt dans la même collection.
L'histoire est amusante et l'on ne boudera pas son plaisir. Le décryptage des aspects irrationnels de la célébrité nous offre un savoureux second degré de lecture. 
Peut être pourra t'on toutefois reprocher une fin un peu abrupte. L'auteur, victime du format 44 planches, semble avoir dû condenser la fin de son récit après s'être un peu laissé aller en route.

Quoiqu'il en soit, l'album est une jolie conclusion de la part d'un auteur dont l'oeuvre a tant apporté au 9e Art.


mercredi 23 novembre 2011

1975 - La Guérison des Daltons




Paru en 1975, "La Guérison des Daltons" fut publié dans entre les numéros 1 et 13 du journal "Nouveau Tintin".

Le professeur Otto Von Himbeergeist précurseur de la psychologie moderne, propose au Congrès des Sciences une théorie révolutionnaire. Les desperados et autres bandits sont des malades qu'il prétend pouvoir soigner. Comprendre leurs motivations intimes à la lumière de leurs traumatismes d'enfances permettrait de les guérir de leur comportement.
Afin de prouver sa théorie, Von Himbeergeist se rendra dans un pénitencier. Son choix se portera immédiatement sur les Daltons, qui, s'ils acceptent l'expérience se verraient offrir la possibilité d'une liberté définitive.
Lucky Luke, sceptique est en charge de surveiller l'opération. Alors que les premiers tests portent leurs fruits, les choses ne se dérouleront pas comme prévu.

Le professeur est présenté ici comme le précurseur d'une discipline qui connaîtra son essor grâce à Freud quelques années plus tard. La dernière case fait d'ailleurs allusion au grand homme sous forme d'un clin d'oeil presque coquin. Freud étant né en 1856, Goscinny se permet un petit anachronisme sans importance. D'ailleurs cette dernière case, assez évocatrice, est amusante à plus d'un titre.
Après "Tortilla pour les Daltons", Morris avait quitté Dupuis pour deux raisons. La première, car il souhaitait que ses albums paraissent en format cartonnés; chose que l'éditeur lui avait toujours refusé. La seconde, à cause de la censure dont il était victime. Selon Charles Dupuis, les danseuses de Saloon n'étaient entre autre pas les bienvenues dans une publication destinée à la jeunesse.
Dargaud permettra donc à Morris de s'exprimer plus librement. Cette dernière case est donc assez symbolique de la liberté d'expression que Dargaud offrira à l'auteur.

Bien ficelé, l'album se lit vite. Le scénario comporte un twist assez inattendu qui offre un second degré de lecture très intéressant sur l'univers de la psychanalyse.
Toujours soucieux de l'efficacité de son trait, Morris utilise certains raccourcis graphiques de façon très habile. Par exemple, page 21 le moment ou le professeur sort de la cabane pour partir en ville, l'oubli volontaire de ses yeux derrière les lunettes en dit plus long sur son état d'esprit que n'importe quel dessin.


Au cours du récit, le professeur réussira deux prouesses majeures.
Son discours provoquera d'abord une crise d'intelligence chez Rantanplan, et parviendra même à déstabiliser Lucky Luke en le poussant dans ses retranchements les plus intimes.
On notera enfin que l'album étoffe un peu plus les rôles de William et Jack, éternels faire valoirs du quatuor.


mardi 22 novembre 2011

1978 - Will Eisner - Le Contrat

"Le Contrat" est à la bande dessinée ce que Citizen Kane a été au cinéma.
Eisner revient ici à ses premières amours après une longue période durant laquelle il réalisait des manuels pour l'armée. La conception de cet album qui marquera un tournant majeur dans l'histoire du médium.

Grand innovateur Eisner a toujours eu l'intuition que la bande dessinée méritait mieux que la réputation qu'on lui prêtait.
En tentant de hisser le médium au rang de véritable littérature, il souhaitait offrir ses lettres de noblesse à un art traité avec mépris depuis sa création.
Au cours des Années 40, ses géniales trouvailles visuelles de son travail sur le Spirit préfigurait déjà cette tendance. 
Présenté sous forme de quatre histoires indépendantes, le livre fut le premier à recevoir l'appellation de "Roman Graphique". En combinant textes et images avec habilité, "Le Contrat" offre de nouvelles perspectives à une mise en scène qui ne laisse rien au hasard. Eisner se joue de tous les codes de la BD pour mieux les détourner à l'avantage du récit. Cases et phylactères ne sont présent que quand la narration l'exige, tandis que certaines pages ne contiennent que du texte.

Le scénario est le premier d'une longue série ou l'auteur puise dans ses souvenirs new-yorkais. L'auteur passe à la loupe ces petites histoires du quotidien des rues qu'il a bien connu étant enfant. La première en particulier qui donne son titre à l'album est le reflet d'un drame personnel vécu par Eisner.
"Le Contrat" lancera une machine créative et innovante qui ne s'arrêtera qu'à la mort d'Eisner.
Nombre d'auteurs de la nouvelle génération doivent leur consécration au travail d'Eisner qui se battit toute sa vie pour défendre le potentiel de son art. La suite de son oeuvre confirma à quel point il avait raison. 


Un art qu'il poussera d'ailleurs à de sommets tels, que deux livres seront tirés de son enseignement. "L'Art Séquentiel" (1985) et le "Récit Graphique" (1995) sont deux ouvrages que tous les raconteurs d'histoires devraient lire.

Relire "Le Contrat" en comprenant le contexte dans lequel il a été crée donne à cette oeuvre géniale, toute la dimension qu'elle mérite.

 


1998 - Spirou et Fantasio - Machine qui rêve



Seccotine parvient à convaincre Spirou de se porter cobaye humain volontaire pour infiltrer un laboratoire sur lequel planne des soupcons d'opérations illégalles. Au cours de sa visite, ce dernier découvre une endroit secret puis ce sera le trou noir.
Spirou se réveillera à demi amnésique sur une autoroute en construction. Pour une raison qu'il ignore, il sera traqué sans merci par une équipe de tueurs bien décidés à le stopper.

Attention rupture ! Combien de fans de Spirou ont été décontenancé en découvrant cet album ! Tome et Janry, aux commandes du personnage depuis 1983, prenaient ici un virage a 90 degrés. Le risque était considérable. Les deux auteurs en ont été pour leur frais.
"Machine qui rêve" marquera la fin de la période Tome et Janry sur le personnage.

Le ton est donné des les premières planches. L'album s'ouvre sur une scène de film dont l'atmosphère anxiogène préconise ce qui arrivera aux héros quelques pages plus tard.
Spirou est passé à l'ère du thriller. En choisissant de peindre les bordures de cases en noir, les auteurs enfoncent le clou.
En plongeant Spirou dans un graphisme noir et réaliste, Philippe Tome se rapproche de l'univers de Soda, série sur laquelle il travaillait avec Bruno Gazotti.
Cette métamorphose visuelle va de pair avec une nouvelle maturité.
Dans une sorte de clin d'oeil au lecteur nos héros insistent de manière un peu vaines sur les questions qui vont avec.
Seccotine exige désormais qu'on l'appelle Sophie, tandis que Spirou et Fantasio s'interrogent, sur les conditions d'une vie sans prénom.
Tome et Janry brouillent les pistes visuelles et narratives. Difficile d'accès, cet album est aussi déroutant que passionnant.
Le scénario très SF évoque Blade Runner où l'univers de K Dick. Simple au premier abord, l'histoire recèle des ficelles qui méritent une deuxième lecture.
Quoiqu'en disent les nombreux détracteurs, le côté adulte de "Machine qui rêve" en fait à mes yeux, un album majeur, nécessaire.
L'aventure connaîtra l'embryon d'une suite à travers un "Spirou à Cuba" dans lequel apparaissait Zorglub.
Hélas seules les dix premières planches seront réalisées. Les mauvaises critiques et le peu de succès en librairie du précédent opus eurent raison du projet.
Tome et Janry se focalisèrent sur le "Petit Spirou" qu'ils avaient crées et qui connaissait alors un succès grandissant.
Le grand Spirou connut par la suite une longue période d'interruption avant que Morvan et Munuera ne reprennent le flambeau en 2004.
Pour les curieux, les planches de "Spirou à Cuba" furent publiées dans le Journal de Spirou n 3839 du 09/11/2001




lundi 21 novembre 2011

1973 - L'héritage de Rantanplan

A la surprise générale, Rantanplan hérite subitement de la fortune d'Oggie Svenson, un ancien détenu du pénitencier. Toutefois, le testament stipule qu'en cas de decès du chien, la fortune de  reviendrait à Joe Dalton.
Lucky Luke sera prendra donc en charge la protection de Rantanplan qu'il conduira jusqu'à Virginia City, et l'assistera dans ses nouvelles fonctions patronnales. Au même moment, les Dalton s'évadent, bien décidés à faire disparaître Rantanplan pour récupérer le magot.

Réalisé à la grande période Dargaud du Lucky Luke des années 70, cet album nous plonge au coeur des quartiers chinois qui fleurissaient dans certaines grandes villes américaines à la fin du XIXe siècle. 
Les plus importants se trouvaient à San Fransisco ou Virginia City. La construction du chemin de fer avait attiré une population immigrée qui, victime de persécutions, s'organisa en quartier régis par de nombreuses sociétés secrètes.

Goscinny en grande forme, mène cette histoire tambour battant. Les Daltons et Rantanplan atteignent des sommets de bêtises face à une population chinoise raffinée mais déterminée à ne pas s'en laisser compter. Averell manquera d'y laisser sa tête.
On acceptera sans difficulté les portraits un peu caricaturaux des chinois tant ceux ci sont traités avec intelligence et humour.

Sur un plan graphique, "l'Héritage de Rantanplan" frappe d'abord par la palette de couleur utilisée. Mauve, Rose et violets, très inhabituels dans la série, tiennent ici le haut du pavé. Sans doute ce choix fut-il motivé par la volonté d'exacerber le côté tamisé des décors principaux. Chose rare, les auteurs ont aussi recours aux dégradés. Réalisés sans l'aide de Photoshop, ceux ci possèdent une texture et une patine inimitable. Certaines cases frappent aussi par la confrontation brutale du rose et du vert. Ces jeux de couleurs viennent renforcer une mise en scène déjà audacieuse dans le choix des cadres.

Pour l'anecdote, l'Hotel International de Virginia City dont il est question dans l'album, fut le premier du far west à être équipé d'un ascenseur électrique. Il fut détruit par un incendie en 1914.




mercredi 16 novembre 2011

2005 - Will Eisner - Le Complot

"Le Complot", est le dernier livre de Will Eisner. 
Paru 11 mois après son décès, ce dernier combat lui tenait à coeur depuis longtemps.
L'ensemble de l'oeuvre d'Eisner a contribué à lutter contre les préjugés communautaires sans complaisance pour personne.
En dénonçant la supercherie des Protocoles des Sages de Sion, "Le Complot" s'inscrit dans cette tradition.

Ecrit au début du siècle, Le Protocole des Sages de Sion est un document étalant au grand jour une supposée conspiration juive destinée à contrôler le monde. La fameuse théorie du complot prend ses racines ici.
Beaucoup d'historiens se sont affrontés autour de cette question. Les études les plus récentes ont prouvé qu'il s'agissait d'un faux, grossièrement inspiré d'un livre du francais Maurice Joly écrit en 1864.
A travers un "Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu", Joly dénoncait les conspirations impérialistes que lui inspirait la politique de Napoléon III.
Plusieurs fois arrêté, l'auteur mit fin à ses jours en 1878.

Quelques années plus tard en Russie, un courant politique conservateur tentait de garder son influence sur le Tsar Nicolas II de plus en plus séduit par les avancées libérales. Il fallait pour cela agiter la menace d'une menace secrète contre les institutions, contre lequel il ne manquerait pas de réagir.
La communauté juive ferait donc figure de bouc émissaire. Un certain Mathieu Glovinsky, sombre écrivain fut chargé d'adapter le livre de Joly à cet effet. Il suffisait de changer un peu la formulation des phrases en remplacant certains termes (peuple par Goyim entre autre), et le tour était joué.

"Le Complot" est construit sous la forme de courte scènes retraçant la chronologie ravageuse de cette imposture de 1864 à aujourd'hui.
En mettant les textes de Joly et les Protocoles dos à dos durant plusieurs pages, la reconstitution d'Eisner frise le documentaire. 
Le plagiat est flagrant.

Le graphisme d'Eisner reste toujours aussi vif malgré les années (Eisner est mort le 3 janvier 2005 a 87 ans). Bien loin des outils informatiques d'aujourd'hui, la conception du livre nous rappelle un temps révolu ou les auteurs avaient appris à dessiner malin. Par exemple, les flashs back sont représentés grâce à un simple passage du pinceau à la plume.  
Eisner est un véritable impressionniste. La force graphique de ses planches nous rappelle qu'une perspective hasardeuse est parfois bien peu de choses tant que l'ensemble traduit l'émotion et l'atmosphère.
Will Eisner est l'un de mes auteurs préférés. La bande dessinée lui doit tellement ! De la révolution narrative avec "Le Spirit" à l'invention du roman graphique avec "Le Contrat", il est considéré aujourd'hui comme l'un des plus grands innovateurs du 9e Art.




mardi 15 novembre 2011

1974 - Lefranc - Le Repaire du Loup


Paru dans Spirou en 1970, Le Repaire du Loup est le 4e album de Lefranc. Casterman éditera le livre en 1974.
Jacques Martin, très accaparé par son travail sur Tintin puis Alix, en délégua le dessin à son complice et collègue Bob de Moor, employé comme lui aux studios Hergé.
Selon lui, ce dernier avait cette remarquable qualité qui lui permettait de se couler dans le style d'un autre. Célèbre faiseur de ligne claire, De Moor remplit la mission avec talent, sans y perdre son âme.
Il s'agit là d'un des travaux les plus aboutis du grand Bob. Ses décors de montagne sont d'une exceptionnelle beauté. Les personnages, parfois un peu raides dans son oeuvre personnelle, ne souffrent pas ici de ce travers.
Les dessins de l'un au service du scénario de l'autre font de cet album une réussite complète.
De son propre aveu Martin souhaitait confier la suite de la série à son ami, mais se heurta au refus d'Hergé. Sans doute celui ci supportait il mal l'idée que son précieux décoriste puisse être accaparé au service d'un autre. 

Martin eut l'idée de ce scénario à l'occasion d'un séjour dans le village de Saint Luc (rebaptisé Saint Loup) sur la rive droite du Val d'Anniviers. L'auteur fut intrigué par la silhouette d'un hôtel posé au sommet d'une montagne sans chemin direct pour y accéder.  Quand il posait la question, les habitants du village répondaient de façon évasive. Il s'agissait d'un sujet tabou.
C'était mal connaître Jacques Martin. A force de persuasion, il finit par apprendre que l'endroit avait été déserté suite à l'abandon d'un projet de construction de téléphérique devant y mener, mais rien de plus.
Martin construisit alors une histoire à suspens imaginant les tenants et les aboutissants de l'affaire. Son inspiration fut telle qu'à la sortie de l'album, un familier de la région se hasarda à lui demander qui lui avait raconté tout ca. 
Quand il répondit qu'il s'agissait d'une simple hypothèse, son interlocuteur lui confirma que les faits qu'il décrivait étaient rigoureusement authentiques.
Martin avait donc imaginé juste... pour notre plus grand plaisir de lecteur.

Le Repaire du Loup - Editions Casterman 1974

lundi 14 novembre 2011

dimanche 13 novembre 2011

1957 - Lucky Luke - Les Cousins Daltons


Les Cousins Dalton furent publiés par épisodes dans le journal de Spirou en 1957.
Il s'agit de la première apparition de ces personnages, présentés comme les cousins maladroits des authentiques frères Dalton mis en scène dans l'album "Hors la Loi" quelques années plus tôt.
L'histoire est assez simple. Les copies veulent se faire un prénom en se débarassant de Lucky Luke responsable de la mort de leurs cousins.
La tâche ne sera pas aisée, tant le quatuor se montrera maladroit.

René Goscinny signe le scénario, mais ne sera pas crédité sur les premières version de l'album.
Le dessin, nerveux, semble jeté quasiment directement sur le papier. Morris n'a pas encore atteint la virtuosité graphique qui sera la sienne 10 ans plus tard.
L'approximation de certains détails nous en disent long sur la cadence de travail que l'on devine derrière la publication hebdomadaire, mais qu'importe... La dynamique de l'ensemble est superbe !
Morris était connu pour crayonner peu et dessiner très vite. Sa méthode suscitait entre autre l'admiration de son camarade Franquin.
Le Lucky Luke de cette époque est déjà un théâtre d'ombres et d'atmosphère. 
Les codes visuels du Western sont très présents. Les contre jours et les silhouettes donnent une dimension toute cinématographique au récit.
On comprend ainsi mieux le recours à ces aplats de couleurs unies appliquées aux personnages qui marqueront la suite de son oeuvre. L'album a recours à ce procédé de facon ponctuelle. La seule couleur utilisée à cet effet reste le gris. 
On notera aussi quelques trouvailles de mise en scène fort novatrices pour l'époque. 
A la page 27, les titres de journaux en surimpression des chevaux galopant fait sensation, au même titre que l'empilement des dialogues entre William et Averell prisonniers, menaçant Luke des pires horreurs.

Sur un plan scénaristique, la fin de l'album est nettement plus inspirée et libre que le début un peu engoncé dans les stéréotypes. L'histoire prend une réelle dimension des l'instant ou les frères se séparent pour capturer Lucky Luke. La scène ou Jack terrorise la ville depuis sa chambre d'hôtel est magistrale. Celle de la capture de Joe répond directement à celle de Bob Dalton dans "Hors la Loi"

La volonté de Goscinny d'apporter à Lucky Luke tout un lot de méchants rigolos prend tout son sens. 
"Les Cousins Daltons" s'inscrivent dans cette tradition. Ces personnages feront un tabac tel, que le public les redemandera tous les deux ou trois albums.
Joe mis à part, leurs caractères ne sont pas encore affirmé. Averell ne semble ni plus goinfre ni plus bête que ses frères. William et Jack possèdent encore une individualité propre qui friserait l'indépendance.
Une petite incohérence nous indique que leurs noms sont parfois encore confondus. William, le petit et Jack, le grand, échangent leurs rôles à la fin de l'album (à partir de la page 34)
A en croire Lucky Luke, Averell serait l'aîné des quatres... "Ou sont tes petits frères ?" lui demande t'il après sa capture. L'album Ma Dalton en 1971 nous démontrera l'inverse.
Enfin la dernière case de l'album esquisse la direction que prendront les personnages. Tandis que ses frères se rejettent la responsabilité de leur capture, Averell demande pour la première fois:
"Quand est ce qu'on mange?"

jeudi 10 novembre 2011

1968 - Vol 714 Pour Sydney

"Puisque c'est comme ca, demain on commence un nouveau Tintin."
La réaction d'Hergé en découvrant que les chiffres de vente d'Astérix venait de dépasser ceux de Tintin ne s'est pas fait attendre.
Nous sommes en 1966. Il faut dire que la production du maître s'était beaucoup ralentie ces dernières années, laissant le champ libre à ses collaborateurs pour développer leurs propres oeuvres.
Jacques Martin faisait du Alix, puis Lefranc, tandis que Bob de Moor se régalait avec ses  séries Barelli et Cori.
Hergé avait qualifié "Les bijoux de la Castafiore", son précédent album de "Voyage autour de ma chambre". Vol 714 rompra cette tradition.

L'album permet d'abord à nos personnages de renouer avec l'action. Si les "Bijoux" ne sortaient pas de Moulinsart, Vol 714 les emmènera à l'autre bout du monde sur une île perdue au milieu du pacifique.

A priori, il s'agit d'une classique histoire d'action plutôt bien menée. Rastapopoulos, Allan, l'île et ses combattants, toutes les recettes du divertissement sont là. 
Toutefois, l'album se singularise à plus d'un titre. Toujours fidèle au préceptes de recul sur le monde qui alimenteront ses derniers albums, Hergé nous présente ses personnages secondaires sous un jour moins manichéens qu'à l'accoutumée.
Le flamboyant Rastapopoulos se ridiculise en perdant ses nerfs face à un docteur Krospell (ex savant nazi) désarmé devant l'échec de ses tentatives pour faire parler le riche Carreidas. Ce dernier librement inspiré de l'avionneur Marcel Dassault révèlera, sous l'effet du sérum, une personnalité plus abjecte encore que son celle de son adversaire. Quant au sémillant contrebandier Allan, nous découvrons que le personnage dissimule calvitie et dentier.
Les cartes sont brouillées pour le plus grand plaisir de l'auteur dont on devine le regard malicieux derrière les coulisses de son petit théâtre. A leur sujet Hergé disait : « En cours de récit, je me suis rendu compte qu'en définitive, Rastapopoulos et Allan n'étaient que de pauvres types. Oui, j'ai découvert ça après avoir habillé Rastapopoulos en cow-boy de luxe : il m'est apparu tellement grotesque, accoutré de cette façon, qu'il a cessé de m'en imposer ! Les méchants ont été démystifiés : en définitive, ils sont surtout ridicules, pitoyables. (...) D'ailleurs, ainsi déboulonnés, mes affreux me paraissent un peu plus sympathiques : ce sont des forbans, mais de pauvres forbans »
Malgré une recette bien rodée, Hergé peut encore nous dérouter, nous surprendre. C'est ce qui fait toute la force de cet album réalisé dans un esprit de compétition.
Vol 714 aborde aussi pour la première fois le thème de la science fiction à travers la présence d'extra terrestres que l'on ne verra pas. Ce choix s'explique sans doute par la volonté de permettre à l'imagination de gambader vers de nouveaux chemins. Comme pour boucler la boucle, les méchants de l'album, Rastapopoulos en tête seront embarqués dans la soucoupe pour une destination inconnue. 
L'album marque d'ailleurs la dernière apparition du Grec diabolique. Hergé avait prévu de le faire revenir dans "Tintin et l'Alph Art" album inachevé lors de son décès.
Visuellement, l'album est très réussi. Filmé comme un film de cinéma, l'ambiance générale, et en particulier celle de l'intérieur du volcan est hallucinante. La maîtrise de la mise en scène et des couleur est telle que le suspens reste intact après des dizaines de lectures.  Les dessins des décors et en particulier ceux du "Carreidas 160" l'avion crée par Roger Leloup, sont d'une rare beauté. 

Pour l'anecdote, le personnage de Mik Ezdanitoff, de la revue Comète est directement inspiré de Jacques Bergier célèbre chroniqueur de la revue Planète.

Hergé - Tintin et moi (Documentaire)








Hergé - Le secret de la ligne claire (Documentaire)


1965 - L'Ile Noire

L'ile Noire est le seul album de l'histoire de la bande dessinée a avoir connu 3 versions différentes.
La première fut éditée en 1938, lorsque les aventures d'Hergé paraissaient encore en noir et blanc. 
Durant la guerre, après la sortie de l'Etoile Mystérieuse en 1942, Hergé refondit ses huit premiers albums afin de les passer en couleur. Les histoires furent redécoupées afin de permettre le passage d'un format de 128 à 62 pages. L'Ile Noire fit parti du lot et connu donc en 1943 sa première sortie en couleur, assez proche de l'original.
Toutefois, lorsqu'il fut question dans les années 60, de publier l'album en Angleterre, l'éditeur remarqua que de nombreux détails concernant la retranscription du pays, manquaient de crédibilité. L'ile Noire avait été réalisé à une période ou Hergé était moins soucieux de l'exactitude de sa documentation qu'à partir des années 50. Celui ci envoya donc son fidèle décoriste Bob de Moor en Angleterre prendre des photos et croquis.
L'album fut entièrement redessiné en 1965 sur cette nouvelle base.
Ceci explique la modernité inattendue du dessin de l'Ile Noire par rapport aux autres albums de cette période. 

Sinon quoi penser du livre ?
L'ile Noire, c'est l'histoire d'une course poursuite haletante ou les avions se crashent beaucoup.
Fidèle à ses habitudes, Hergé s'est inspiré de faits d'actualité afin de créer cette histoire de fausse monnaie destinée à déstabiliser les démocraties d'Europe d'avant guerre.
Le château de L'Ile Noire lui a probablement été inspiré par le vieux château de l'île d'Yeux.

Les personnages semblent en perpétuelle action. Tintin se retrouvera même deux fois d'affilée à l'hôpital. Fidèle à lui même, il s'échappera à peine entré pour recommencer à courir.
Sur un plan visuel, la précision épurée des décors associée à une mise en couleur judicieuse affirme une fois de plus le sens aigu des ambiances qu'Hergé et ses collaborateurs savaient distiller. La scène des avions dans le brouillard, minimaliste à souhait, est d'une prodigieuse efficacité visuelle. Ces décors revisités ne manquèrent pas de déplaire à quelques grincheux nostalgique du Tintin des années 30.
Album du mouvement, celui ci est rendu de façon magistrale. On remarquera a quel point, chaque trait, bien à sa place contribue à cet équilibre précis et délicat au service de la lisibilité reine. 
Enfin, j'ai été frappé par le temps ou le format de 62 planches conçu sans construction préalable trop précise, permettait d'étendre la mise en place des gags. 
Le gag des pompiers qui cherchent la clé du local dure quasiment deux planches.

Pour conclure, cette version actualisée de l'Ile Noire crée une curieuse association entre le dessin plus abouti des derniers albums au service d'une intrigue dont certains raccourcis rappellent les oeuvres plus anciennes.
Pour l'anecdote, page 55, Tintin se retrouve devant un poste de télévision. Lors de la conception de l'album en 1937, le procédé n'en était qu'à ses balbutiements. Beaucoup de lecteurs imaginèrent ce procédé issu de l'imagination d'Hergé. Curieusement, l'édition de 1943 montrait une image couleur (qui n'existait pas encore), tandis que celle de 1965 mettait en scène un poste en noir et blanc.


Pour les amateurs, Casterman a publié en 2005 un "DOSSIER TINTIN" de grand format rassemblant côte à côte les trois versions de l'album.

Un strip de la version 1943


Même strip en 1965

Annonce de la nouvelle sortie en 1965

Couverture de l'édition 1943
Comparatif version 1938 /1965



mardi 8 novembre 2011

1976 - Tintin et les Picaros

Sorti en 1976, "Tintin et Les Picaros" marquait le retour du petit reporter, huit ans après le formidable "Vol 714 pour Sydney".
Si l'album connu un immense succès commercial, la plupart des critiques furent assassines, pointant du doigt les faiblesses graphiques, scénaristiques ainsi que les soit disant dérives idéologiques de l'oeuvre.
Au delà de l'abandon de ses culottes de golf, Tintin n'était plus Tintin.

Initialement appelé "Tintin et les Bigotudos", le scénario pensé dans les années 60, connaîtra plusieurs années d'errance suivi d'une longue interruption avant de trouver sa voie finale. Je vous invite au passage à consulter le livre "Hergé et les Bigotudos" de Philippe Godin qui retrace le cheminement créatif de l'oeuvre.

Sans revenir sur ces critiques cent fois rabâchées; la relecture de cet album m'a laissé une curieuse impression.
Certaines cases trahissent à l'évidence une présence plus appuyée des assistants du maître, qui se targuait de se réserver le dessin de ses personnages. Trop souvent, une nuque raide, une oreille trop grande ou une houppette posée trop en avant permettent d'en douter.

D'autres auront noté que Les Picaros, c'est l'irruption du bruit et d'une forme de vulgarité dans l'univers autrefois si lisse d'Hergé. La femme d'Alcazar, Séraphin Lampion et ses turlurons plus beaufs (ou belgicains) que jamais, les Picaros ivres et j'en passe.
Un recours aux gros plans, aussi inhabituel qu'excessif, confirme cette tendance.
Hergé s'est-il laissé piégé par l'air du temps ou a t'il voulu dénoncer les travers d'une époque qui n'était plus la sienne ?

"Les Picaros" éclaire les personnages sous un jour nouveau.
L'attitude de Tintin, très en retrait dans cette aventure, semble trahir l'état d'esprit d'Hergé qui selon ses propres termes aspirait à plus de sérénité.
Avec l'âge l'auteur tendait à prendre plus de recul sur les choses. 
Paraphrasant Nietsche il disait volontiers : "Toute conviction et une prison... L'homme qui parvient à les abandonner est beaucoup plus libre"
Cet album lui permet de casser encore plus l'image manichéenne de son petit monde. Ce phénomène avait démarré avec "Vol 714" ou les méchants historiques apparaissaient plus ridicules que jamais.
Tintin reste à la maison... Haddock ne supporte plus le whisky.
Quant à Alcazar, devenu chef de guerilla, se retrouve surpris en pleine vaisselle, martyrisé par son épouse laide et autoritaire. Les crayonnés originaux nous indiquent qu'Hergé avait même prévu de lui faire porter une moumoute (gommée dans la version encrée) 
Ce dernier ne vaut finalement pas tant mieux que son rival Tapioca, dont Tintin parvient à empêcher l'exécution.
La dernière case est édifiante. Hergé finit par mettre met dos à dos les successions de dictatures militaires qui gangrénaient l'Amérique du Sud au cours du 20e siècle. 
L'ouvrage connut une violente réaction des milieux d'extrême gauche, très en vogue à cette période.(voir vidéo)
Le renversement d'Allende en 1973 au Chili par le général Pinochet donnait une toute autre dimension à cette histoire. Tapioca assimilé au dictateur Chilien et Alcazar à Fidel Castro, il n'en fallut pas plus pour qu'Hergé soit à nouveau qualifié d'affreux réactionnaire.
Rien de tout cela pourtant. L'auteur revendiquait son désir de distraire tout en prenant de la hauteur sur les sujets d'actualité qu'il ne manquait jamais d'évoquer. 

J'ajouterai pour conclure, un mot à propos de la couverture.
Si l'on considère que son rôle consiste à susciter la curiosité préalable à la pulsion d'achat, celle des "Picaros" est un modèle du genre..
Poursuivis par un mystérieux adversaire, nos héros fuient dans une jungle épaisse.
Le capitaine Haddock ouvre la marche, précédé par un Tournesol indigné désignant le sommet d'une pyramide. En arrière plan, Tintin couvre de ses camarades en jetant un coup d'oeil derrière lui.
Il s'agit là du parfait condensé d'une intrigue qui donne envie d'en savoir plus. Pourquoi ces personnages se trouvent ils dans la jungle ? Qu'est ce qui motive leur fuite ? Qu'est ce qui provoque le courroux de Tournesol ? Pourquoi Tintin coure t'il derrière ? etc etc...

Quelques soient les remarques évoquées plus haut, j'ai pris un grand plaisir à me replonger dans la jungle des Picaros. 
Les albums d'Hergé restent des modèles d'un travail propre, équilibré et abouti, motivé par un immense respect du lecteur. Les scènes de carnaval mettent en valeur le prodigieux travail du génial Bob de Moor, décorateur en chef des studios.

Pour l'anecdote, Tintin et les Picaros comptait à l'origine une planche de trop. Cette erreur de numérotation contraint l'éditeur a exiger d'Hergé de sacrifier l'une de ses pages. Il s'agira de la page 23 numéroté 22bis que nous reproduisons ci dessous.

Aussi au moment de l'encrage, on réalisa que la période du Carnaval se passant en février, on du rajouter une veste à Tintin sur les premières planches.