lundi 30 janvier 2012

1984 - SOS Bonheur



SOS Bonheur fut écrit en 1980. 
Prévu au départ pour une série d'épisodes de 50 mn, le projet tourna court en 1982 car considéré comme trop dur par les patrons de chaîne. Sous l'impulsion de Philippe Vandooren, rédacteur en chef de Spirou, Van Hamme décida de l'adapter à la bande dessinée . Les six premiers scénarios furent remaniés pour devenir les deux premiers tome. Un troisième album fut mis en chantier dans la foulée afin de donner la clé de l'histoire.

Dans la préface de l'édition intégrale, Van Hamme nous révèle l'origine de la série. L'idée lui serait venu alors qu'il travaillait comme chef de département dans une multinationale. Il recevait alors tous les mois un épais listing de chiffre dont il ne comprenait ni l'origine, ni la finalité. Intrigué, une enquête parmi ses collègues révéla qu'aucun d'entre eux ne savait de quoi il retournait, tant et si bien que l'ouvrage finissait le plus souvent à la poubelle. En remontant cette mystérieuse filière, Van Hamme découvrit l'existence d'un employé modèle en charge de la création de ce document. Ce dernier remplissait sa mission avec zèle, sans se poser une seconde la question de l'objectif de sa tâche.

L'absurdité de cette situation constitua la matière première d'SOS Bonheur, dont le premier récit fut directement inspiré par cette histoire. Le thème principal de cette fable ubuesque et terrifiante laisse songeur. A quelle extrémités nous conduirait une société qui, au nom du progrès de l'humanité, transformerait les notions de bonheur et de sécurité en règles totalitaires. Qu'arriverait il à ceux qui refuseraient ce bonheur en conserve défini par un système pensé pour l'épanouissement de chacun. Orwell n'est pas très loin... Van Hamme souhaitait s'interroger sur les conséquences possible des dérives d'un état providence sur les liberté individuelles. 
Sans dévoiler l'issue d'une l'intrigue où rien n'est laissé au hasard, la seconde question, et non des moindres s'articule autour des notions de la manipulation des masses poussée à l'extrême. Jusqu'où les tireurs de ficelles peuvent ils pousser le cynisme ? Un dénouement fort innatendu ne laisse que peu d'espoir à cet égard.
Certes l'histoire fleure bon une époque moins riche que la notre sur le plan technologique. Si l'approche semble un peu datée, les questions de fond restent d'une dérangeante actualité. On sera amusé de constater que le livre évoque la possibilité de la carte bleue ainsi que du fichage individuel via un numero sans lequel aucun d'entre nous ne possède d'existence légale.
Le dessin du brillant et prolifique Griffo qui s'essayait pour la première fois au réalisme n'a pas encore trouvé la maestria dont il fait preuve aujourd'hui mais les bases sont déjà là. Le troisième Tome réalisé un peu plus tard, témoigne de cette évolution.
L'époque a changé, mais SOS Bonheur continue, 30 ans après sa conception, à faire une quasi unanimité parmi ses lecteurs.

SOS Bonheur - Griffo - Van Hamme - Aire Libre Dupuis

jeudi 19 janvier 2012

1958 - Johan et Pirlouit - La Flûte à Six Schtroumpfs


A l'occasion d'un séjour au château, un marchand ambulant perd une flûte magique à six trous. Celui qui entend sa musique se met à danser de façon irrépressible jusqu'à l'épuisement. Après avoir été récupérée par Pirlouit, le brigand Matthieu Torchesac la lui dérobera dans le but de s'en servir comme une arme. Johan et Pirlouit partiront à sa poursuite. Pour le contrer, ils devront se procurer une autre flûte enchantée et rejoindre pour cela le Pays Maudit, habité par "Les Schtroumpfs"

On peut considérer cette trop courte série comme l'une des meilleures jamais concue.
Paru dans le journal de Spirou en 1958 sous le titre provisoire "La Flute à Six Trous", ce 9e album des aventures de Johan et Pirlouit reste notable à plus d'un titre.
L'intrigue générale se base sur la passion qu'éprouve Pirlouit pour une musique bien à lui. L'album inaugure un nouveau format en 60 pages au lieu des 44, qui offre l'espace nécessaire au développement de gags plus aboutis. Par exemple, la scène ou Pirlouit court à travers le château, surprenant les gens après avoir découvert les pouvoirs de sa flûte est d'une diabolique efficacité. La rumeur prétend que le personnage de Torchesac, méchant de l'histoire, bonhomme et hypocrite, aurait été inspiré à Peyo par les pères Jésuites chez lesquels il séjourna enfant.

Mais la "Flûte à Six Schtroumpfs" marque un tournant majeur pour une autre raison. Il s'agit de la première fois que les petits lutins bleus font leur apparition. Après avoir distillé le suspens nécessaire à la prépublication, Peyo ne dévoilera le nom ses créatures qu'à la planche 34. Le public devra attendre encore quelques semaines avant de les découvrir pour la première fois dans les pages de Spirou en octobre 1958. Les Schtroumpfs vivent alors au pays Maudit, paysage rocailleux et austère, bien loin de la forêt touffue que nous connaissons. Leur apparence n'est pas encore définitive. Leurs bonnets sont plus longs et leurs visages plus minces. Néanmoins, la barrière de la langue schtroumpf, déjà bien présente, vaudra à Pirlouit quelques dialogues de sourds qui resteront dans les annales. Malgré son effroyable complexité, celle ci doit obéir à des règles très strictes afin d'être compréhensible.

Pour l'anecdote les schtroumpfs sont nés à l'occasion d'un déjeuner entre Franquin, Peyo et leurs épouses à l'été 1957. En désignant la salière, le premier, cherchant ses mots demande au second de lui passer le "schtroumpf". L'expression les amusa tant, qu'il passèrent le reste du repas à converser en "schtroumpf"
A la parution, Dupuis était inquiet de la réaction des autorités francaises toujours très pointilleuses sur les questions de langage dans les bandes dessinées. Pour le rassurer Peyo lui assura de bonne fois que ces personnages, n'apparaissant que dans une dizaine de pages, seraient largement oubliés d'ici deux ans. Nous connaissons la suite...

La Flûte a Six Schtroumpfs - Peyo - Editions Dupuis 1960

mercredi 18 janvier 2012

1973 - Pauvre Lampil (série)


Paru entre 1977 et 1995, "Pauvre Lampil" compte 7 albums parus entre 1977 et 1995. La série décrit avec humour les rapports houleux entre un dessinateur râleur et un scénariste suffisant. Les deux personnages sont représentés sous les traits de Lambil et Cauvin, le duo star des Tuniques Bleues.

En 1973, le rédacteur en chef de Spirou et spécialiste de la bande dessinée Thierry Martens propose à Dupuis d'organiser une rubrique "Carte Blanche" dans les pages du journal. Le principe consistait à offrir une plage de liberté aux auteurs chevronnés, ainsi qu'à de nouveaux venus libres d'y exprimer leur talent. Malgré la réticence de l'éditeur, l'opération fut un succès.
De nombreux auteurs se prêtèrent à l'exercice avec malice. En proposant "Pauvre Lampil", Lambil et Cauvin se hissèrent en tête du célèbre référendum des lecteurs qui faisait autorité à l'époque. La série sortit ainsi de son cadre exceptionnel pour commencer une publication régulière dès 1974.
Dupuis restait frileux, redoutant que le temps consacré à cette "pochade" n'empiètent sur les Tuniques Bleues dont les ventes commençaient à s'envoler.
Un premier recueil paru en 1977, suivi par un second l'année suivante. Toutefois, le succès croissant de leur série vedette raréfièrent progressivement la présence de Pauvre Lampil jusqu'en 1995 année de la parution du septième et dernier album.

Cauvin se positionnait comme le clown blanc du duo, manipulant un Lambil caractériel et hypocondriaque. Si le scénariste affirme avoir puisé son inspiration dans leur quotidien professionnel, Lambil prendra plus de distance avec son personnage qu'il qualifie lui même "d'artiste raté".
Reflet d'un malaise selon Lambil, la série fut source d'une brouille entre les deux hommes qui durera de nombreuses années. L'un reprochant à l'autre d'y régler ses comptes. Le dessinateur se débarrassera par la suite de tout ce qui pourrait lui rappeler ce qu'il considère comme un échec professionnel pour lequel "il ne fait aucun effort".
Quant au nom de Lampil, il vient d'une faute commise par Cauvin à l'occasion de sa première rencontre avec son acolyte.

Quoiqu'il en soit, une intégrale parue en 2011 nous rappelle que, malgré son échec commercial et les affres de sa création, "Pauvre Lampil" reste un petit bijou d'humour et d'efficacité.



Pauvre Lampil - Editions Dupuis

dimanche 15 janvier 2012

2010 - Interview Lambil

Voici une interview de Willy Lambil prise pour PlanèteBD, à l'occasion de la sortie de l'album "Sang Bleu pour les Bleus" (voir article)

1986 - Interview Malet Tardi


Interview réalisée en 1986 à propos de la collaboration entre Léo Malet et Tardi sur les albums de Nestor Burma. Tardi travaille sur l'adaptation du second Tome "120 rue de la Gare", paru en 1988.

Ce document vient en complément de l'article sur l'album "Brouillard au Pont de Tolbiac"

1982 - Nestor Burma - Brouillard au Pont de Tolbiac


A l'occasion d'une lettre reçue de la part d'une très ancienne relation, Nestor Burma remontera la filière d'un crime non résolu qui le replongera dans son passé anarchiste au coeur du XIIIe arrondissement. Il sera aidé dans ses recherches par une jeune gitane Bélita Moralès, amie de son camarade défunt.

"C'est un sale quartier, un foutu coin,(...) c'est son climat. Pas partout, mais dans certaines rues, certains endroits on y respire un sale air. Fous en le camp Bélita.(...) Ca pue trop la misère, la merde, le malheur !"
Cette phrase sans appel de Burma à la gitane résume bien ce que Malet pensait du XIIIe arrondissement avec lequel, il prétendait avoir un vieux compte à régler. En 1926, âgé de 17 ans, l'auteur avait séjourné au foyer Végétalien, 182 rue de Tolbiac, en compagnie de camarades anarchistes. Cette courte expérience qui lui avait laissé un souvenir amer.

De la série "Les nouveaux mystères de Paris", "Brouillard au Pont de Tolbiac" a toujours été considéré comme un roman à part. Par son auteur d'abord, puis par son public qui découvrait sur les traces de Nestor Burma le souvenir d'un XIIIe disparu.
Le plus souvent Malet travaillait sans plan préalable, ce qui l'amenait à effectuer un certain nombre de corrections au rythme de l'avancée de l'intrigue. La conception de cette histoire était un peu différente. Malet, pressé par les délais, devait envoyer les épreuves de son manuscrit à l'éditeur à mesure de sa rédaction. Impossible donc de revenir en arrière.
Léo Malet n'était pas amateur de bande dessinée. C'est en passant par hasard devant la librairie Casterman qu'il tomba en arrêt devant la couverture du "Démon de la Tour Eiffel", une aventure d'Adèle Blanc Sec illustrée par Tardi. Après s'être procuré l'ouvrage, il fut convaincu que le style inimitable du dessinateur conviendrait parfaitement à l'adaptation de Nestor Burma. Lui seul pourrait saisir l'atmosphère du Paris des années 50 duquel il saurait retranscrire le "cafard latent".

L'album paraîtra chez Casterman en 1982. Si les décors et l'ambiance sont exceptionnels, le dessin de Burma n'a pas encore trouvé la forme définitive qu'il adoptera à l'occasion de "120 rue de la Gare" en 1988. Aucune documentation n'existant à propos du "Foyer Végétalien" disparu depuis des lustres, Tardi le dessina sur la base des souvenirs de l'auteur. Le passage des "Hautes Formes" entre les rues Nationale et Baudrincourt retrouva son aspect originel le temps de quelques cases, au même titre que les arches du viaduc du Pont et bien d'autres détails encore.

Le roman fut redécouvert des années après sa rédaction, lorsque les bulldozers commencèrent leur travail de sape. Malet qui pensait avoir écrit un roman "contre" le XIIIe souriait quand on le considérait comme le spécialiste d'un quartier qu'il n'avait fréquenté que trois mois... Sans faire l'apologie de la saleté, il déplorait que cette nécessaire rénovation des lieux n'ait pas été réalisée "à échelle humaine". Il fustigeait ces tours impersonnelles pensées par des architectes modernes qui habitaient eux, des hôtels particuliers à Passy. Dans un papier écrit en Novembre 1978 Malet écrivait qu'il ne retournerait pas dans le XIIIe, car, il prétendait s'y sentir encore plus malheureux que lorsqu'il y trainait la savate.



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vendredi 13 janvier 2012

2009 - Les Tuniques Bleues - Sang Bleu chez les Bleus


Ce cinquante troisième album des Tuniques Bleues relate un fait moins connu de l'Histoire de France et d'Amérique. Durant la guerre de sécession, Francois d'Orléans (1818 - 1900), Prince de Joinville et fils de Louis Philippe 1er, dernier Roi des Français condamné à l'exil, partit combattre les confédérés au côté des Nordistes. Il embarqua deux de ses neveux avec lui. Il fut élevé au grade de Capitaine et nommé aide de camp du Général Mac Lellan. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Francois d'Orléans prenait position contre l'esclavage sous d'uniques arguments économiques. Il affirmait que cette méthode onéreuse ramenée à ses faibles rendements ne justifiait pas son coût. Pire encore, en déshonorant le travail libre, elle brisait l'esprit d'entreprise indispensable au développement des régions.

L'album dépeint un homme sympathique et courageux, victime, au même titre que son régiment d'une inactivité propre à cette période de la guerre. Afin de pallier aux conséquences désastreuses sur le moral des troupes, ce dernier proposera aux hommes de se mettre à la peinture sous l'argument "C'est facile vous verrez..."
Blutch se prêtera à l'exercice avec plaisir, non sans quelques aléas. Cette nouvelle passion gagnera progressivement l'ensemble du camp, jusqu'au Général lui même.
L'album est construit en deux parties. Si la seconde reste assez classique, je considère la première comme un petit chef d'oeuvre de dynamisme et d'efficacité comique. L'affrontement entre Blutch et Chesterfield atteint ici son paroxysme.
Le ton est donné dès la première case. Le Sergent ramène son camarade après une énième tentative de désertion. Déguisé et maquillé en esclave noire, Blutch n'en restera pas là ! Sa riposte, à noter dans les annales de la série, est aussi cruelle qu'inédite. Le duel prend une tournure vacharde digne de Tom et Jerry. Les deux hisseront le drapeau blanc quand ordre leur sera donné d'espionner les rangs Sudistes, mission au cours de laquelle ils seront découverts. 
Certains pourront être surpris par une telle scission narrative dans l'album. On regrettera l'absence, dans la seconde partie, de Francois d'Orléans autour duquel l'album est construit. Ce dernier ne réapparaîtra qu'à la fin de façon quasi anecdotique.
Quoiqu'il en soit, au delà de sa valeur pédagogique,  "Sang Bleu chez les Bleus" reste un excellent divertissement et un album très amusant.

Sang Bleu chez les Bleus - Lambil/Cauvin - Editions Dupuis 2009

mardi 10 janvier 2012

1994 - Seth - La Vie est belle malgré tout


L'autobiographie en bande dessinée est un exercice vu et revu... Maintes fois ressassé, l'exercice pourrait agacer. En racontant l'histoire d'un auteur angoissé, phobique d'une modernité qu'il s'évertue à fuir, Seth pourrait plonger son lecteur la tête la première dans une mer de clichés.

Il n'en sera rien. La fuite du personnage trouve son catalyseur. L'oeuvre créée ainsi sa différence à grands coups de sensibilité et de talent véritable. 
En parcourant de vieux numéros du New Yorker, Seth tombe par hasard en arrêt devant le dessin de Kalo, un artiste obscur dont la trace semble perdue depuis des lustres. Il se mettra alors en tête de remonter la piste de cet auteur tombé dans l'oubli. Au fil de ses maigres découvertes, on comprendra que c'est après lui même que court l'auteur. La reconstitution illusoire du passé de cet homme permet à Seth d'illustrer un avenir pétri de doutes. Très vite la quête de l'explication de la disparition professionnelle de Kalo résonne comme un transfert de ses propres angoisses: La peur de perdre ses acquis et la chute après la gloire.
L'exercice périlleux, nourri par cette quête obsédante et irrationnelle trouve ici une délicatesse et un équilibre tel, que le livre est considéré comme l'une des 100 meilleures BD de tous les temps. L'auteur évite l'écueil classique d'une autocritique hypocrite, et reste toujours cohérent dans sa démarche consistant trouver un sens à nos micros existence à l'échelle du temps. 
Une rééddition flatteuse chez Delcourt en 2009 rend à cet ouvrage toute la considération qu'il méritait.

La vie est belle malgré tout - Seth - Editions Delcourt 2009

dimanche 8 janvier 2012

1994 - Trondheim - Mildiou

Au moyen âge, le chef d'une révolte villageoise se fait tuer sous les yeux de son peuple par Mildiou, le dictateur local. Suite à un quiproquo la foule designera un lapin comme nouveau leader. Celui ci n'avait rien demandé mais trop tard... Face à ce nouvel affront Mildiou n'aura de cesse d'essayer de tuer le lapin, symbole involontaire d'une résistance à son autorité. Tandis que ce dernier ne pense qu'à raisonner son adversaire, une course poursuite absurde s'engage, sans qu'aucun des deux protagonistes ne parvienne à ses fins.

Si le dessin n'est, de son propre aveu, pas le fort du Trondheim de cette période, son style si particulier offre aux décors moyenageux une dimension féérique toute particulière. L'architecture du château évoquerait à l'extrême celle du célèbre palais du film "Le Roi et l'Oiseau" avec ses enfilades de pièces à n'en plus finir et ses escaliers vertigineux.
Derrière ses airs de plaisanterie improvisée se cache un plaidoyer contre la bêtise et la violence. On y trouvera aussi une description peu flatteuse des mouvements de foules aussi pleutres que forts en gueule, qui, tels les personnages des villes de Lucky Luke sont présentés comme s'il ne s'agissait que d'une seule et même personne.
Certains ont pu voir dans "Mildiou" la critique d'une certaine bd franco belge hyper stéréotypée, au coeur de laquelle gentils et méchants manichéens s'affrontent sans relâche pour le plaisir d'un scénariste paresseux. 
Sans rentrer dans des analyses un peu vaines, je pense que "Mildiou" reste avant tout une histoire fort amusante qui comporte plusieurs degrés de lecture. Les joutes verbales réjouissante entre Mildiou et le le Lapin nous ramènent aux meilleurs pastiches du genre "cape et d'épée". L'excellence de la mise en scène donnent une vraie fluidité aux 150 pages que dure la poursuite infernale. Le récit s'adapte parfaitement au format de publication A5.
Le côté ubuesque de cette histoire évoque un cauchemar enfiévré dans lequel l'on s'enfonce à mesure que l'on cherche à y échapper. Outre son adversaire brutal et acharné, le Lapin croise au fil des pages, une galerie de personnages étranges qui apportent leur propre folie à une situation qui n'en a nul besoin. 
La chute, aussi soudaine qu'inattendue, répond avec brio au simple malentendu par lequel tout à commencé.

2004 - Trondheim - Désoeuvré


A l'occasion d'une pause de 80 jours dans son travail de dessinateur, Lewis Trondheim nous livre une chronique savoureuse basée sur les interrogations existentielles d'un auteur en pleine maturité.

Conçu sans plan préalable l'ouvrage défile au gré de son inspiration sans autre ambition que d'apporter ce que l'on voudra bien y trouver. Les premières pages s'articulent autour des notions de création, de plaisir et de liberté. Descartes disait : "Etre libre n'est rien. Le devenir est tout". Toute la question consiste à savoir si la liberté totale dont jouis un auteur à succès ne devient pas sa pire ennemie au bout d'un certain stade.
A grands renforts d'exemples pris dans la génération supérieure de dessinateurs franco belges, Trondheim finit par nous convaincre que la bande dessinée conserve mal ceux qui la pratiquent. Après une apogée professionnelle autour de la cinquantaine de nombreux auteurs subissent un déclin de leur fertilité artistique. Beaucoup seront même frappés par de sévères dépressions, dont certains ne se remettront pas. Il est de notoriété publique que de nombreux auteurs tels Franquin ou Gotlib vécurent de profonds malaises. D'autres tels Noël Bissot ou Charles Degotte mirent fin à leurs jours. Pour l'anecdote, la rumeur prétendait que les auteurs de Dupuis finissaient dépressifs et alcooliques tandis que Le Lombard rendait dragueur et obsédé. 
Trondheim mène l'enquête avec une rigueur toute scientifique. Il ira même jusqu'à interroger Yvan Delporte, mémoire à l'époque vivante du monde de la BD. Ce dernier prêtera son concours à l'exercice et partagera ses analyses par mail. Sa longue expérience lui fournit une expertise qui confirme très largement celle de Trondheim sans toutefois parvenir à comprendre totalement les sources de cet étrange phénomène, qui semble frapper en particulier les auteurs qui assument à la fois dessin et scénario.

A mesure que le récit avance, la théorie de Trondheim prend corps. Isolement et répétition des tâches, propres à un certain type de bande dessinée feraient, selon lui, mauvais ménage.
A travers l'analyse du destin de ses prédécesseurs, l'auteur, au fait de sa gloire, tente d'exorciser ses propres démons. Les générations ont changées mais les questions restent les mêmes. 
On notera tout de même que Trondheim sera le premier à pointer du doigt le fait que ses préoccupations restent celles d'un artiste privilégié. Au delà de sa passionnante valeur pédagogique, cette remarque apporte à l'ouvrage une sincérité supplémentaire qui ne fait qu'accentuer la sympathie que pourra inspirer l'ensemble.

Désoeuvré - Lewis Trondheim - L'association 2004

lundi 2 janvier 2012

1980 - Astérix - Le Grand Fossé


Les deux parties d'un village Gaulois divisé par un grand fossé, s'affrontent pour la conquête de l'autre moitié. Abraracourcix sera appelé en renfort par l'un des deux chefs... Son rival, sous l'emprise d'un conseiller sournois, souhaite faire intervenir les Romains pour remporter la victoire. Astérix, Obélix et Panoramix feront le voyage.

"Le Grand Fossé", aura fait couler beaucoup d'encre lors de sa sortie. Il s'agit du premier titre publié par les toutes nouvelles Editions Albert René, créées par Uderzo après la mort de son camarade Goscinny. Ce dernier en assumera pour la première fois seul, dessin et scénario. Pour beaucoup de lecteurs, l'album semble un peu différent des précédents sans que l'on puisse en identifier les réelles raisons. Si les tons bleus de la couverture, en rupture avec le traditionnel blanc de Dargaud annonçait une nouvelle ère, le nom de Goscinny sera toujours préservé en tête de tous les nouveaux albums.
Les critiques envers Uderzo allèrent bon train. A titre personnel je reste partagé sur cette question. En premier lieu, il convient de remettre les choses dans l'ordre. Si Goscinny à tout le talent qu'on lui connait, le succès d'Astérix a toujours été le fruit de deux auteurs. 
D'un autre côté, faire "à la manière de" n'est pas toujours heureux. Par exemple, certains calembourgs dont raffolaient Goscinny trouvent moins bien leur place entre les mains d'Uderzo (même chose pour Tabary avec Iznogoud). La réussite de cet exercice dépend d'un équilibre fort fragile. Certains gags, tels la maison coupée en deux sont aussi un peu attendus voire poussifs. A contrario, Uderzo sait aussi nous régaler de répliques de son cru, particulièrement hilarantes.
A tort ou à raison, l'auteur a apporté quelque chose de nouveau à l'univers d'Astérix. Certaines séquences n'hésitent désormais plus à loucher vers un fantastique assumé, chose qui n'arrivait avant qu'avec parcimonie. Nous pouvons considérer qu'il s'agit peut-être d'une volonté de casser le schéma classique de la visite par Asterix et Obélix, d'un pays dépeint à travers ses clichés.

Enfin, certains ont vu dans cet album une caricature du mur de Berlin, voire même de la France coupée en deux durant la dernière guerre.
Concernant le personnage de Comix, Uderzo aurait regretté de l'avoir dessiné de facon si réaliste, préférant le style caricatural du reste de la série. Enfin Comix et Fanzine sont des noms issus de magazines de bande dessinée.

Le Grand Fossé - Uderzo - Editions Albert René 1980

dimanche 1 janvier 2012

1997 - Les Tuniques Bleues - Puppet Blues


Afin d'assurer la promotion de la guerre et inciter les vocations, l'Etat Major Nordiste envoie le photographe Sutton en première ligne avec une mission précise: ramener des clichés vivants et flatteurs de la vie du front et des combats. Le 22e de cavalerie sera mis à contribution afin d'assurer des reconstitutions aussi aussi grotesques que mensongères.

Paru en 1997, "Puppet Blues" est le 39e album des "Tuniques Bleues". Le scénario est particulièrement intéressant à plus d'un titre.
Tout d'abord, l'album nous éclaire sur le stade auquel se trouvait la toute jeune photographie au cours des années 1860. Les clichés nécessitaient de longs temps de pause, interdisant toute capture du mouvement pris à la volée. Le résultat était souvent fort académique ou figé. Sutton, chargé de redonner de la vie aux images militaires, imaginera des systèmes à base de cordes et de poulies, afin de maintenir chevaux et cavaliers dans d'héroïques position de charges au galop. Le procédé, aussi complexe qu'approximatif, ne fera pas illusion. Les ficelles seront visibles au propre comme au figuré.
La guerre est un monstre que l'on ne nourrit jamais assez. L'album, à l'image de la série pointe du doigt l'imbécilité et la malhonnêté d'un Etat Major planqué, glorifiant les atrocités quotidiennes subies par les soldats, afin d'encourager les recrutements. Ce type de propagande, apparu des les premières étapes de la photo, fut hélas très en vogue jusqu'à assez tard.
Enfin, les notions d'obéïssance, de soumission aux ordres, et d'individualisme professionnel restent très présents dans cette histoire. La description du personnage de Sutton nous dévoile une facette peu recommandable de la nature humaine. Doux et affable au début, le photographe se transforme au fil des pages en un dictateur imbu et arrogant. Il s'agit à l'évidence d'une caricature de ces personnalités qui, soumise à une autorité qui les dépasse, développent un excessif sens du devoir. Ceux là même que les honneurs et la flatterie conduisent aux pires extrémités. 
Ainsi les "Puppets" de l'album ne sont pas forcément ceux que l'on croit. Si Chesterfield joue ce jeu imbécile, Blutch tentera de faire échouer l'entreprise, avec la complicité inattendue du général Alexander, qui ne manquera pas de se protéger au passage.
Nous ajouterons pour conclure, une mention spéciale à Lambil, dont les merveilleux lavis reproduisent à merveille l'esprit des clichés de Sutton.

Puppet Blue - Lambil/Cauvin - Editons Dupuis 1997