jeudi 10 novembre 2011

1968 - Vol 714 Pour Sydney

"Puisque c'est comme ca, demain on commence un nouveau Tintin."
La réaction d'Hergé en découvrant que les chiffres de vente d'Astérix venait de dépasser ceux de Tintin ne s'est pas fait attendre.
Nous sommes en 1966. Il faut dire que la production du maître s'était beaucoup ralentie ces dernières années, laissant le champ libre à ses collaborateurs pour développer leurs propres oeuvres.
Jacques Martin faisait du Alix, puis Lefranc, tandis que Bob de Moor se régalait avec ses  séries Barelli et Cori.
Hergé avait qualifié "Les bijoux de la Castafiore", son précédent album de "Voyage autour de ma chambre". Vol 714 rompra cette tradition.

L'album permet d'abord à nos personnages de renouer avec l'action. Si les "Bijoux" ne sortaient pas de Moulinsart, Vol 714 les emmènera à l'autre bout du monde sur une île perdue au milieu du pacifique.

A priori, il s'agit d'une classique histoire d'action plutôt bien menée. Rastapopoulos, Allan, l'île et ses combattants, toutes les recettes du divertissement sont là. 
Toutefois, l'album se singularise à plus d'un titre. Toujours fidèle au préceptes de recul sur le monde qui alimenteront ses derniers albums, Hergé nous présente ses personnages secondaires sous un jour moins manichéens qu'à l'accoutumée.
Le flamboyant Rastapopoulos se ridiculise en perdant ses nerfs face à un docteur Krospell (ex savant nazi) désarmé devant l'échec de ses tentatives pour faire parler le riche Carreidas. Ce dernier librement inspiré de l'avionneur Marcel Dassault révèlera, sous l'effet du sérum, une personnalité plus abjecte encore que son celle de son adversaire. Quant au sémillant contrebandier Allan, nous découvrons que le personnage dissimule calvitie et dentier.
Les cartes sont brouillées pour le plus grand plaisir de l'auteur dont on devine le regard malicieux derrière les coulisses de son petit théâtre. A leur sujet Hergé disait : « En cours de récit, je me suis rendu compte qu'en définitive, Rastapopoulos et Allan n'étaient que de pauvres types. Oui, j'ai découvert ça après avoir habillé Rastapopoulos en cow-boy de luxe : il m'est apparu tellement grotesque, accoutré de cette façon, qu'il a cessé de m'en imposer ! Les méchants ont été démystifiés : en définitive, ils sont surtout ridicules, pitoyables. (...) D'ailleurs, ainsi déboulonnés, mes affreux me paraissent un peu plus sympathiques : ce sont des forbans, mais de pauvres forbans »
Malgré une recette bien rodée, Hergé peut encore nous dérouter, nous surprendre. C'est ce qui fait toute la force de cet album réalisé dans un esprit de compétition.
Vol 714 aborde aussi pour la première fois le thème de la science fiction à travers la présence d'extra terrestres que l'on ne verra pas. Ce choix s'explique sans doute par la volonté de permettre à l'imagination de gambader vers de nouveaux chemins. Comme pour boucler la boucle, les méchants de l'album, Rastapopoulos en tête seront embarqués dans la soucoupe pour une destination inconnue. 
L'album marque d'ailleurs la dernière apparition du Grec diabolique. Hergé avait prévu de le faire revenir dans "Tintin et l'Alph Art" album inachevé lors de son décès.
Visuellement, l'album est très réussi. Filmé comme un film de cinéma, l'ambiance générale, et en particulier celle de l'intérieur du volcan est hallucinante. La maîtrise de la mise en scène et des couleur est telle que le suspens reste intact après des dizaines de lectures.  Les dessins des décors et en particulier ceux du "Carreidas 160" l'avion crée par Roger Leloup, sont d'une rare beauté. 

Pour l'anecdote, le personnage de Mik Ezdanitoff, de la revue Comète est directement inspiré de Jacques Bergier célèbre chroniqueur de la revue Planète.

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