dimanche 8 janvier 2012

2004 - Trondheim - Désoeuvré


A l'occasion d'une pause de 80 jours dans son travail de dessinateur, Lewis Trondheim nous livre une chronique savoureuse basée sur les interrogations existentielles d'un auteur en pleine maturité.

Conçu sans plan préalable l'ouvrage défile au gré de son inspiration sans autre ambition que d'apporter ce que l'on voudra bien y trouver. Les premières pages s'articulent autour des notions de création, de plaisir et de liberté. Descartes disait : "Etre libre n'est rien. Le devenir est tout". Toute la question consiste à savoir si la liberté totale dont jouis un auteur à succès ne devient pas sa pire ennemie au bout d'un certain stade.
A grands renforts d'exemples pris dans la génération supérieure de dessinateurs franco belges, Trondheim finit par nous convaincre que la bande dessinée conserve mal ceux qui la pratiquent. Après une apogée professionnelle autour de la cinquantaine de nombreux auteurs subissent un déclin de leur fertilité artistique. Beaucoup seront même frappés par de sévères dépressions, dont certains ne se remettront pas. Il est de notoriété publique que de nombreux auteurs tels Franquin ou Gotlib vécurent de profonds malaises. D'autres tels Noël Bissot ou Charles Degotte mirent fin à leurs jours. Pour l'anecdote, la rumeur prétendait que les auteurs de Dupuis finissaient dépressifs et alcooliques tandis que Le Lombard rendait dragueur et obsédé. 
Trondheim mène l'enquête avec une rigueur toute scientifique. Il ira même jusqu'à interroger Yvan Delporte, mémoire à l'époque vivante du monde de la BD. Ce dernier prêtera son concours à l'exercice et partagera ses analyses par mail. Sa longue expérience lui fournit une expertise qui confirme très largement celle de Trondheim sans toutefois parvenir à comprendre totalement les sources de cet étrange phénomène, qui semble frapper en particulier les auteurs qui assument à la fois dessin et scénario.

A mesure que le récit avance, la théorie de Trondheim prend corps. Isolement et répétition des tâches, propres à un certain type de bande dessinée feraient, selon lui, mauvais ménage.
A travers l'analyse du destin de ses prédécesseurs, l'auteur, au fait de sa gloire, tente d'exorciser ses propres démons. Les générations ont changées mais les questions restent les mêmes. 
On notera tout de même que Trondheim sera le premier à pointer du doigt le fait que ses préoccupations restent celles d'un artiste privilégié. Au delà de sa passionnante valeur pédagogique, cette remarque apporte à l'ouvrage une sincérité supplémentaire qui ne fait qu'accentuer la sympathie que pourra inspirer l'ensemble.

Désoeuvré - Lewis Trondheim - L'association 2004

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